Le complexe de la bourgitude

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Ce matin il m’est arrivé un truc assez étrange : je ne me souvenais plus de mon url. Avant je ne me souvenais jamais de mes codes d’accès, je ne m’inquiétais pas trop, mais là je me suis dit qu’il fallait quand même faire quelque chose, parce que de là à oublier sa propre url, c’est soit Alzheimer soit vraiment j’ai plus rien à dire. Puis, j’ai eu un éclair de génie : j’ai jamais eu grand chose à dire qui fasse date. C’est juste que depuis peu, je n’ai absolument plus de problèmes du tout. Je dors très bien, 12 heures par nuits, du sommeil des justes. Mon cerveau est donc EXTREMEMENT à l’arrêt total reposé.

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Mi-septembre ça fera un an que j’ai cessé de travailler. Qui dit pas de boulot dit pas de thunes. Oui, moi j’ai pas encore trouvé le moyen de gagner de l’argent sans travailler. C’est le premier truc qui m’a fait tiquer (Tiquer : Verbe, manifester de la contrariété en faisant chier tout le monde jusqu’à plus soif) quand on est venu s’installer ici : Parler une langue dont j’ai pas été foutue d’apprendre les rudiments pendant ma scolarité, intégrer une communauté qui pense que les crocs sont plus habillées que les tongs, évoluer dans un milieu capitaliste alors que je suis une prolo etc… c’est arrivé bien après le « Putain de merde je vais dépendre financièrement de mon mec! ».

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Je pourrais dire que voilà, je sacrifie mon indépendance au nom de l’amour, que ce projet est un projet de couple donc que je contribue à ma façon, que c’est provisoire, que ça ne changerait pas grand chose à ma condition, je suis un genre de Housewife wannabe (et j’aime pas) (si j’avais eu la moindre véhélité de petite femme d’intérieur ça se saurait). J’ai été élevée dans l’idée que ne pas dépendre de l’autre est la clef du bonheur (J’ai découvert plus tard que le Wi-Fi gratuit était également une des constituantes du-dit bonheur). Là on me dit que je suis censée me réjouir parce que partir vivre en Californie (et j’amie pas trop bien la Californie en plus) avec son mec, ne pas avoir à pointer tous les matins et faire absolument ce que l’on veut de son temps libre est un luxe que tout le monde ne peut pas se payer. Je suis donc en retraite anticipée à 39 ans.

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J’ai commencé comme tout le monde, aller boire des cafés avec les autres meufs d’expats qui comme moi ne peuvent pas travailler. J’ai bu énormément de café, j’ai flirté avec l’hypertension. Et puis surtout, t’es là, t’évoques avec nostalgie un truc qui te faisait horreur par le passé « Ouais alors tu vois mon entretien annuel c’était l’horreur totale » et tu te demandes 2 minutes comment tu vas passer les 3 prochaines années si ça c’est un préambule à une conversation constructive (ou même futile). Entre meufs d’expats, on parle de ce qui faisait notre vie « avant », notre participation, bah j’aime autant vous dire que celles qui se réjouissent de faire du pain perdu au petit déj ne sont pas nombreuses.  Sans compter que les mecs sont rongés par la culpabilité. Il n’est pas rare de les voir rentrer du taf l’oeil coupable, te demandant si tu as passé une bonne journée. Contrairement à ta vie d’avant (où ils ne t’écoutaient JAMAIS) là ils sont captivé quand tu racontes que tu t’es mise en quête de moutarde de Dijon, et que tu en as trouvé! Pour un peu t’aurais une haie d’honneur.

Je suis donc partie du principe qu’il faut s’occuper les mains, faire des trucs manuels qui pourraient changer le monde et aider mon prochain. Oui, j’ai acheté une machine à coudre (mais je ne sais pas m’en servir). Je voulais aider mon prochain en fabriquant des rideaux. Moralité on a pas de rideaux.

Le fait que je ne trouve pas spécialement cette position de géniale ce qui fait de moi une  « Connasse », j’en ai bien conscience. EVIDEMENT je m’ennuie, c’est pourquoi j’ai décidé de réagir et de faire des trucs que je ne faisais jamais par le passé, faute de tunes et de temps. Avant je m’intéressais à environ deux millions de trucs plus ou moins passionnants. Mais rien ne me prédisposais à passer  ma vie devant des videos de blogueuses beauté, l’oeil torve, m’interrogeant sur le sens de « Une base de maquillage silliconnée à 57 boules ». Avant je Googlelais des trucs trucs genre « Monterlant » ou « La critique de la raison pure », maintenant c’est plus « P.E.G ». Note pour plus tard : effacer mon historique de recherche avant ma mort.

Je me suis aussi essayée à la cuisine :

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Il n’y a pas de s à madeleine puisque telle était ma volonté.

Je me suis mise aux claquettes (au propre et non au figuré). J’ai jamais été ce qu’on appelle une « bonne danseuse » (même une mauvaise danseuse serait encore très en dessous de la vérité) mais je me suis dit que la dance c’était comme Meetic, les vraies rencontres on les fait partout. Puis j’ai visionné la video de notre dernière leçon, celle où sur 3 minutes de chorégraphie on me voit m’arrêter toutes les vingt secondes, réfléchissant au sens de la vie et à ma place dans l’univers.

Je me suis farcie une journée de poterie… J’ai fais un très vilain mug, je l’ai offert à mon mec et il l’a accueilli comme si j’avais fait un super chouette collier de nouilles « Oh c’est beau! ». Je me suis dit que j’allais plus jamais baiser j’avais touché le fond (et lui aussi parce qu’il l’a mis sur son bureau)… Puis je me suis lancée dans la confection d’origami. Là on sait pas trop si j’ai monté des mini-tentes Queschua ou si juste c’est « contemporain » mais à la base j’ambitionnais des papillons. J’ai compris que c’était bon, là j’étais au fond, j’ai arrêté de creuser.

Je me souviens très bien du temps où j’étais salariée et à quel point je rêvais de ne rien foutre de mes journées. Aujourd’hui j’ai un petit pincement au coeur quand je repense à tous mes boss ces gros cons, des missions en tout genres, des deadlines, des tickets restau et des avoirs à la boulangerie que je perdais systématiquement, du café dégueu de la machine qui bouffait ma monnaie, des puteries entre collègues, des imprimantes-scanners livrés avec le mode d’emploi rédigé par un stagiaire de la Nasa etc… Soit c’est l’ennui, soit c’est la vieillesse. Mais l’étape origami à été une vraie révélation pour moi : La bourgitude, c’est pas mon truc. J’ai décidé de rester une prolo. Oui à San Francisco alors que mon mec bosse dans la tech et que ma maison est tellement grande que je peux inviter des gens à manger chez moi (quand j’étais gosse et que je cherchais à évaluer une somme, je demandais « Combien ça fait de maisons? », pour vous donner un ordre d’idée de mon rapport au pognon) (donc c’est le luxe ultime d’avoir une table pour diner ouais) j’ai décidé de continuer à vivre comme avant (de facto l’appart est grand mais c’est super zen la déco). Je mégote sur le prix des tomates au marché, Je dis « non on a pas les moyens » même quand ça n’a pas de sens, bref, je joue à la marchande mais à l’envers.

En gros le rêve américain pour moi c’est se réjouir d’acheter des ombres à paupières Kiko  et d’aller chez H&M (J’espère que vous ne bandez pas trop fort).

Demain, peut-être, je vous expliquerais comment je me suis remise aux puzzles et l’impact que ça va avoir sur l’économie mondiale.

Perdita

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